Sommaire

  • I. Les Origines (1870-1890)
    • 1. Le Río de la Plata - 2. Les racines sud-américaines - 3. Les racines africaines - 4. Les racines européennes - 5. La milonga
  • II. L’Essor (1890-1930)
    • 6. Les barrios - 7. Montevido - 8. L’expansion - 9. La Guardia vieja - 10. Les Années ’10 - 11. La Tangomania - 12. Les Années ’20

Extraits de divers films tournés pendant l'Âge d'or du tango. Musique: Pensalo bien (1938) de Juan d'Arienzo. Illustration: Bal à Buenos Aires en 1937 lors de l'inauguration de l'avenue 9 de julio.

L’Âge d’or du tango argentin (1930-1950)

Dans les années ’30 et ’40, apogée de l’âge d’or du tango, de grands orchestres tels ceux dirigés par Juan d’Arienzo, Aníbal Troilo, Carlos di Sarli, ou encore Osvaldo Pugliese, dominent la scène musicale. Le tango devient une part essentielle de l’identité argentine et un phénomène culturel mondial.

13. La Guardia nueva

La Guardia nueva (Nouvelle Garde) représente un moment de grande créativité et d’innovation dans l’histoire du tango argentin. Elle se crée en réaction à l’école de la Guardia vieja et débute dès la fin années ’20, après la Première Guerre mondiale, se prolongeant jusqu’au milieu des années ’50. Elle se distingue par un enrichissement harmonique et mélodique du tango, une plus grande sophistication dans les arrangements musicaux et un rapprochement avec la musique classique. Son évolution coïncide également avec une popularité accrue du tango dans la société argentine et à l’étranger. Parmi ses principales figures représentatives on trouve Carlos Gardel, Julio de Caro, Juan d’Arienzo, Aníbal Troilo et Osvaldo Pugliese.

14. Les Années ’30

La crise financière de 1929 qui affecte l’économie mondiale, le coup d’Etat du général Uriburu en 1930, la concurrence du jazz et de la culture américaine, la crise sociale et la récession économique de la Grande Dépression, provoquent une petite disgrâce momentanée du tango en Argentine au début des années ’30, mais le tango reste une forme de divertissement populaire. Son succès international ne se dément pas, les milongas et les spectacles de tango continuant d’attirer les foules dans la plupart des pays occidentaux. Les milongas restent des lieux sociaux clés où les gens se rencontrent pour danser et socialiser, et l’apparition sur scène de nouveaux chefs d’orchestre de grand talent, tels entre autres Juan d’Arienzo ou Rodolfo Biagi, lui redonnent bientôt de la vigueur.

Carlos Gardel devient une icône non seulement en Argentine mais aussi dans le monde entier. Il tourne plusieurs films à Hollywood, dont Cuesta abajo (1934) et El tango en Broadway (1934) qui connaissent, comme ses disques, un succès énorme dans le monde entier.

Le chef d’orchestre Juan d’Arienzo, surnommé « El Rey del Compás » (le roi du rythme), révolutionne le style musical du tango en accentuant le rythme et l’énergie des compositions pour favoriser la danse. Cette approche redynamise en profondeur le genre et attire une nouvelle génération de danseurs.

Après les années de tango canción, le tango revient à la danse avec des rythmiques plus marquées et plus puissantes. Le pianiste Sebastián Piana compose plusieurs milongas poétiques d’un nouveau genre, certaines mises en parole par Homero Manzi : Milonga del 900 (1930), Milonga sentimental (1932), Milonga triste (1937), etc. La célèbre Milonga sentimental est un archétype de milonga ciudadana de l’époque, c’est-à-dire d’une forme de milonga urbaine plus sophistiquée et plus lente que la milonga originale des pampas.

Les anciennes valse-criollos, inspirées des valses européennes à trois temps (valse viennoise, valse musette, …) mais dansées plus lentement et sur un rythme syncopé avec ochos (huits) et giros (tours) (33), forment un genre à part, celui de la Valse argentine, dite aussi Valse tango. Desde el Alma (Du fond de l’âme), composée en 1917 par Rosita Melo, première grande compositrice argentino-uruguayenne du tango, est l’une de ces valses à succès de la période romantique des années 1925-35. Le poète Victor Piuma Vélez, mari de Rosita Melo, en écrit les paroles (il sera suivi par Homero Manzi en 1948). Les plus grands orchestres interpréteront et enregistreront tous Desde el Alma qui reste aujourd’hui encore très populaire.

Le 24 juin 1935, Carlos Gardel, alors à l’apogée de sa gloire, meurt tragiquement dans un accident d’avion à Medellín (Colombie). Sa mort marque le début de sa légende mais aussi la fin d’une époque pour le tango chanté, même si des chanteurs comme Francisco Fiorentino et Alberto Castillo restent populaires pour leurs interprétations poignantes des classiques.

Les musiciens de tango continuent de se professionnaliser et des associations de droits d’auteur sont fondées, entre autres la Sadaic en 1936.

Les danses de compétition incorporent désormais des catégories dites « Internationale », « Américaine » et « Standard » du tango. Elles héritent des films de Rudolph Valentino, sont pour la majeure partie standardisées par le professeur de danse américain Arthur Murray et développées dans les écoles de danse anglaises. Contrairement au tango argentin rioplatense (34) dont nous parlons dans ce livre, ces trois types de danse de compétition ne sont ni des danses d’improvisation ni des danses de bal se pratiquant en couple. La posture et l’abrazo des danseurs dans ces catégories n’ont rien à voir avec le tango argentin. Il s’agit d’une discipline pour les compétitions qui comprennent, outre le Tango de salon, le Quickstep, la Valse Viennoise, la Valse Anglaise et le Foxtrot. Ce « Tango de salon » ne doit pas non plus être confondu avec le style Tango Salón (35), développé à Buenos Aires dans les années ’40.

15. Les Années ’40

Pendant les années ’40, on compte à Buenos Aires plus de 1200 bals et environ 600 orchestres typiques actifs. Le tango est omniprésent dans la vie culturelle argentine de ces années-là, apogée de l’âge d’or du tango qui marque en même temps la fin d’une ère et le début de nouvelles explorations artistiques.

Outre le piano et la contrebasse, les orchestres typiques comptent désormais sur scène quatre bandonéons et quatre violons. Ils peuvent souvent rassembler plus d’une douzaine de musiciens et deux chanteurs. Certains de ces orchestres sont devenus aujourd’hui mythiques. Citons entre autres ceux de Francisco Canaro (qui se lance dans le tango symphonique et surtout les grands spectacles-revues de tango), Julio de Caro (le passeur de la Guardia vieja à la Guardia nueva), Annibal Troilo (« l’âme du bandonéon », qui impose violoncelle et alto dans son orchestre), Juan d’Arienzo (« le roi du compas », qui régnera pendant longtemps sur le cabaret Chanteclerc de la rue Corrientes), Osvaldo Fresedo (« El Pibe de La Paternal »), Carlos di Sarli (« El señor del tango »), Alfredo de Angelis, Osvaldo Pugliese, Florindo Sassone, Miguel Caló, Roberto Firpo, Horacio Salgán, Lucio Demare, Francini-Pontier, Juan de Dios Filiberto, Francisco Lomuto, Edgardo Donato, Alfredo Gobbi, Rodolfo Biagi, Ricardo Tanturi, Pedro Laurenz, Angel D’Agostino, etc. Tous ces orchestres avec chacun leur style unique, leurs chanteurs (Angel Vargas, Alberto Castillo, …), leurs innovations et leurs arrangements musicaux, revitalisent la scène musicale et définissent le son tango de l’époque. Ils connaissent tous une immense popularité et remplissent les salles. Des figures comme Mariano Mores commencent aussi à apparaître, apportant de nouvelles idées et perspectives qui domineront une décennie plus tard.

De nombreux chanteurs et acteurs émergent aussi, dont la célèbre Tita Merello qui chante avec tous les principaux orchestres de l’âge d’or. Elle joue également dans une quarantaine de films dont le fameux ¡Tango ! de Luis Moglia Barth (1933), premier film parlant argentin. Féministe avant la lettre, elle chante et personnifie jusqu’aux années ’70, dans un environnement plutôt machiste, le style de vie typique des femmes des faubourgs, rudes, loyales et déterminées. Elle jouit encore d’une énorme popularité avec sa version féministe chantée de la milonga Se dice de me (musique composée en 1943 par Francisco Canaro et paroles écrites en 1955 par Ivo Pelay pour le film Mercado de abasto de Lucas Demare).

Les milongas continuent de prospérer dans tout le pays. Les centaines de clubs de quartier de Buenos Aires, les gigantesques bals des faubourgs ouvriers et même les stades comme le River Plate, le Luna Park ou le San Lorenzo, accueillent régulièrement des milliers de danseurs alors que la technique de danse continue d’évoluer, avec des chorégraphies et des mouvements de plus en plus sophistiquées. Les danseurs professionnels commencent à se produire dans des compétitions internationales.

De plus en plus d’émissions de radio et de télévision lui sont dédiées. Le cinéma argentin joue aussi un rôle crucial dans la popularisation du tango au cours de cette période. Il intègre régulièrement des scènes de danse et de musique, mettant en avant des orchestres célèbres et des danseurs de tango qui captivent le public. Carlos Gardel lui-même apparaît dans plusieurs films comme El día que me quieras (1935) et Tango Bar (1935). Le cinéma devient un véhicule important pour exporter le tango argentin dans le monde entier.

Avec l’arrivée au pouvoir de Juan Perón, président de l’Argentine de 1946 à 1955 dans son premier mandat, et de sa femme Eva Perón surnommée « Evita », le tango est d’abord brièvement et en partie censuré. On prohibe le lunfardo et les chansons « indécentes », comme par exemple Esta noche me emborracho (Ce soir je me saoûle) et Chorra (Voleuse) de Discépolo. Puis, finalement, le gouvernement populiste change d’avis et encourage son développement. Le tango est même érigé en institution culturelle nationale officielle de l’Argentine. Le pays bénéficie en effet à plein des retombées économiques générées par l’âge d’or du tango, tant au niveau des industries culturelles (cabarets, radio, cinéma, disques, …) que du tourisme naissant. Plusieurs figures emblématiques du tango de l’époque, en particulier des letristas comme Homero Manzi, Cátulo Castillo et Enrique Santos Discépolo, se convertissent dès lors au péronisme.

Cependant, vers la fin des années 40, la ferveur populaire pour les grands bals et les grands orchestres disparaît progressivement. Tout en conservant l’essence passionnée et expressive du tango argentin, une danse plus intime, plus intériorisée, plus raffinée et plus élégante, devient la norme. Le style Tango Salón s’impose.

Notes

33. Les Ochos (huits) et les Giros (tours) sont des figures fondamentales du tango dansé. Un ocho est un mouvement en forme de 8 dessiné sur le sol par la personne guidée. Ils peuvent être variés selon leur amplitude, leur direction, leur rythme, et combinés à de nombreuses autres figures. Un giro est la rotation complète ou partielle du corps autour d’un axe. Comme les ochos ils peuvent être associés à d’autres figures pour créer des séquences plus complexes. La variété infinie de combinaisons possibles entre la caminata (la marche, en harmonie avec la musique), les ochos et les giros, est ce qui fait la richesse et la beauté du tango.

34. Rioplatense : De la région du Rio de la Plata. Le tango rioplatense recouvre tous les styles de tango argentin issus de cette région, improvisés et dansés en couple dans les bals, quel que soit leur nom et leur époque.

35. Le Tango Salón est un style de danse qui s’est développé pendant l’âge d’or du tango et plus précisément au début des années ’40. C’est la façon de danser dans les salons « comme il faut » de Buenos Aires à cette époque. Pour la petite histoire, Comme il faut est le titre d’un tango bien représentatif de ce style, composé par Eduardo Arolas. La meilleure version instrumentale en est sans doute celle de Carlos di Sarli en 1947. Le Tango Salón met l’accent sur la musicalité, l’élégance, l’abrazo intériorisé et la connexion entre les partenaires. Les deux danseurs sont en contact très rapproché, ils ne réalisent que peu de figures expressives – pas de cortes, voleos et autres adornos mais de la marche et des ochos cortado –, mais ils ont des mouvements fluides et peuvent parfois se mettre en posture semi-ouverte pour réaliser certains pas comme par exemple les giros. Il se danse aussi dans le respect des codes sociaux des milongas, notamment dans le respect des invitations (par Mirada – regard – et Cabeceo – hochement de tête) et de la ligne de bal. C’est un style adapté à la pratique en bonne société dans des salles de bal à l’espace restreint. Il existe plusieurs variantes, comme entre autres le très élégant et très précis Tango Villa Urquiza (nom d’un quartier résidentiel de Buenos Aires), et le Tango milonguero ou Estilo del centro, en position dite apilado très serrée et très intime, le guidé appuyant le haut de son corps sur celui du guideur. Le Tango Salón est le style de danse le plus classique et le plus répandu dans les milongas jusqu’à aujourd’hui. Il correspond à tous les tangos des principaux maestros de l’âge d’or : Aníbal Troilo, Carlos di Sarli, Alfredo de Angelis, Osvaldo Pugliese, etc.

Noël Blandin

Auteur: Noël Blandin
Titre: Brève histoire du tango argentin
Éditeur: La République des Lettres
Date de publication: 01/10/2024
N° ISBN: 9782824912479
Pagination: 224 pages
Format: 13,5 x 18,5 cm
Prix du livre papier: 18 €
Prix du livre numérique: 6,99 €

Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, lundi 24 mars 2025.

         

Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, lundi 24 mars 2025.