Sommaire

Milonga sentimental par le groupe La Truca (2013)

V. La Renaissance (1980-2020)

Les années 1980-2020 voient le tango argentin se diversifier et renaître partout dans le monde, de Tokyo à Paris en passant par New York et Berlin. À la suite des expérimentations pionnières du Tango nuevo, il fusionne avec d’autres genres récents comme la musique électronique et la danse contemporaine, donnant naissance à des styles hybrides et innovants. Comme lors de la première tangomania des années ’20, une nouvelle vague submerge la planète, Paris et Buenos Aires se partageant toujours la faveur des aficionados. Les grands festivals, les milongas et les cours de tango se multiplient. Des innovations comme l’électrotango attirent un nouveau public jeune. Cette mondialisation accrue, facilitée par les nouvelles technologies d’information et de communication, accroît ses échanges culturels ainsi que sa dynamique et sa popularité. En 2005, l’inscription par l’UNESCO du tango argentin au patrimoine culturel immatériel de l’humanité marque une étape importante.

18. Les Années ’80 - 2000

De 1976 jusqu’à sa chute en 1983, la dictature militaire argentine fait trente mille disparus, quinze mille fusillés et un nombre incalculable d’exilés. La chute du régime ouvre une nouvelle ère de liberté d’expression, permettant à des artistes d’explorer la culture tango sous de nouvelles formes. Elle est marquée à la fois par une libération des énergies créatives et par un retour à la valorisation du patrimoine culturel national qui inclut la revitalisation du tango. Dès 1983, il y a un effort concerté, à la fois pour préserver et transmettre les styles traditionnels de la danse, mais aussi pour développer de nouvelles perpectives à partir du Nuevo tango et de la popularité internationale de Piazzolla. Grâce aux efforts de musiciens, danseurs et compositeurs qui œuvrent pour le réintroduire dans la culture populaire, on assiste à une nouvelle vague d’intérêt pour le tango argentin.

Des concerts, des spectacles de danse, des festivals et de nouvelles écoles de danse apparaissent, permettant de perpétuer la tradition et d’attirer de nouveaux adeptes. Des danseurs comme Juan Carlos Copes et María Nieves, Mora Godoy et Miguel Ángel Zotto jouent un rôle essentiel dans cette renaissance, en promouvant le tango sur les scènes internationales, en transmettant leurs connaissances et leur expertise à travers l’enseignement, et en contribuant à redéfinir la chorégraphie pour une nouvelle génération.

En 1983, le spectacle Tango Argentino créé par Claudio Segovia et Hector Orezzoli triomphe à Paris. Présenté dans le cadre du Festival d’automne, il poursuit sa tournée en Europe puis à Broadway, relançant la mode du tango argentin auprès d’un nouveau public.

Fondée entre autres par le compositeur Edgardo Canton, la chanteuse Susana Rinaldi et l’écrivain Julio Cortázar, une tangueria, Les Trottoirs de Buenos aires, est ouverte en 1981 au 37 rue des Lombards, dans le quartier des Halles à Paris. Conçue à l’origine comme un centre culturel pour les exilés argentins réfugiés en France, on y croise bon nombre de musiciens continuant de faire exister le tango à travers des œuvres engagées. On les regroupera bientôt sous le nom de « tango des exilés ». Parmi ces artistes, citons entre autres les musiciens Juan Cedrón, Juan José Mosalini et Gustavo Beytelmann, la chanteuse Susana Rinaldi, le dramaturge Alfredo Arias et l’écrivain Julio Cortázar. Les Trottoirs de Buenos aires constituera l’un des principaux creusets de la renaissance du tango en Europe et accueillera jusqu’en 1994 toute la communauté culturelle argentine de passage dans la capitale française. Les danseurs et professeurs Carmen Aguiar et Victor Convalia y donneront des cours de tango à partir de 1986.

Comme lors de la première tangomania des années ’20, une nouvelle vague de tango argentin submerge la planète dans les années 1990-2000, Paris et Buenos Aires se partageant toujours la faveur des aficionados. Les cours et les bals tango ouvrent par milliers dans le monde entier, y compris dans les pays et les provinces les plus reculés, permettant à tous d’apprendre cette danse et de découvrir sa richesse culturelle. Des évènements réguliers ont lieu même en plein air, comme les soirées tango sur les Quais de Seine à Paris, imitées ensuite dans nombre de grandes villes françaises et étrangères.

Les milongas évoluent elles aussi, intégrant des éléments modernes tout en préservant les traditions. Elles deviennent un élément central de la vie sociale nocturne et touristique de Buenos Aires, attirant des publics variés de tous horizons tout en restant des lieux de rencontre essentiels pour les amateurs de tango de tous âges. De jeunes danseurs professionnels s’y produisent, mettant l’accent sur l’expression individuelle, explorant de nouvelles figures et improvisations, rompant avec les schémas traditionnels rigides et intégrant dans leurs chorégraphies sophistiquées des éléments de danse moderne et contemporaine comme entre autres le hip-hop. La danse est de plus en plus souvent intégrée dans des performances théâtrales et des spectacles scéniques.

Les styles de danse Fantasia – très dynamique, théatral, en abrazo ouvert, nombreuses figures acrobatiques et amples mouvements, cf. Gustavo Naveira, Pablo Verón, Fabian Salas, Chicho, etc. –, et Escenario, c’est-à-dire de scène, chorégraphique – cf. Juan Carlos Copes –, se développent avec le Tango nuevo des années ’80, ’90, 2000.

Astor Piazzolla décède le 4 juillet 1992. Sa mort marque la fin d’une ère pour le tango, mais son style continue de vivre dans le tango contemporain à travers ses compositions et son influence durable sur le genre.

En juin 1995, de nombreux hommages sont rendus en Argentine et dans le monde entier pour la commémoration du 60e anniversaire de la mort de Carlos Gardel. Son héritage continue de marquer profondément le tango.

Les grands concerts et les grands festivals se multiplient tant en Argentine qu’à l’étranger. Le prestigieux Festival y Mundial de Tango, créé en 1999, accompagné du Tango World Championship créé en son sein en 2003, se tient chaque année en août à Buenos Aires. Événement majeur qui célèbre le tango sous toutes ses formes, il consolide la position de la ville comme capitale mondiale du tango. Il accueille chaque année plus de 500.000 passionnés du monde entier et est devenu au fil des années une plateforme importante pour la carrière des musiciens et danseurs de tango internationaux. D’autres festivals internationaux importants sont créés dans toutes les grandes villes (Paris, Berlin, Chicago, Turin, Istanbul, etc.) ou même plus petites, comme par exemple en France le Festival Tarbes en Tango, créé en 1998.

D’innombrables nouvelles formations de tango se créent, certaines avec de nouveaux instruments comme la guitare électrique qui donne au tango une sonorité plus contemporaine et plus percutante. Toute une génération de nouveaux artistes apparaît sur la scène musicale : Juan Carlos Cáceres avec son Tango Negro, Richard Galliano avec ses interprétations de Piazzolla, Gotan Project, Tanghetto, Otros Aires et Bajofondo Tango Club avec l’electrotango pop & rock qui attire une large nouvelle génération de fans, les orchestres Sexteto Mayor et Color Tango, le chanteur Daniel Melingo, les chanteuses Haydée Alba, Adriana Varela, Susana Blaszko, Sandra Rumolino, Lidia Borda, les danseurs Miguel Ángel Zotto, Antonio Todaro, Pablo Verón, Milena Plebs, Mariano Chicho Frumboli, Sebastián Arce, Gustavo Naveira et sa partenaire de longue date Giselle Anne, etc.

Le cinéma n’est pas en reste avec notamment la sortie de Tangos, l’exil de Gardel de Fernando Solanas (1980), La Leçon de tango de Sally Potter (1997, avec le danseur Pablo Verón) ou encore Tango de Carlos Saura (1998). Le tango est également à l’honneur dans plusieurs documentaires qui explorent son histoire et ses légendes, contribuant à son nouvel attrait culturel.

Les médias jouent un rôle essentiel dans la promotion du tango contemporain. Les documentaires, les films, les émissions de radio ou de télévision et les articles de presse couvrent le phénomène de développement de la scène tango. En Europe, la chaîne franco-allemande Arte joue un rôle clé en diffusant plusieurs documentaires et spectacles. En Argentine, La station de radio 2x4 et la chaîne de télévision Solo Tango sont dédiées exclusivement au tango argentin. Des revues et magazines spécialisés, comme La Milonga Argentina (Buenos Aires), El Tangauta (Buenos Aires), Revista Tangomagia (Amsterdam), La Salida (Paris, publié par Le Temps du Tango, l’une des associations pionnières du renouveau du tango en France), et des sites web sur internet comme TangoVia (Buenos Aires), Todo Tango (Buenos Aires) et Tango-Argentin.fr (Paris) fournissent également de précieuses ressources pour l’information du public.

À Paris, outre les festivals, les cours et les milongas, les années ’90 et 2000 voient la multiplication de spectacles de tango. Citons entre autres parmi les plus plébiscités, après le célèbre Tango Argentino de Claudio Segovia et Hector Orezzoli (Festival d’automne, 1983) : Tango Pasión de Mel Howard et Gustavo Santaolalla (Théâtre des Champs-Élysées, 1992), Tango y Tango de Santiago Amigorena (Théâtre Marigny, 2011), We Call It Tango de Claudio Hoffmann et Pilar Alvarez (Salle Jacques Higelin, 2014). Ces spectacles ont créé des moments mémorables pour les Parisiens et les visiteurs, renforçant ainsi l’attrait de Paris comme capitale culturelle du tango en Europe.

19. Les Années 2000 - 2020

À partir des années 2000, le tango s’approprie aussi les outils numériques, touchant ainsi un public plus large et plus diversifié. De nouvelles plateformes numériques pour la diffusion des enregistrements audiovisuels permettent aux artistes de toucher un public international, d’explorer de nouvelles directions et de nouvelles formes d’expression multimédia. De nombreux sites web fleurissent sur internet, permettant à chaque artiste, chaque association, chaque enseignant, chaque milonga, d’informer le public sur les évènements en cours ou d’accéder à des cours en ligne, des performances en direct et des archives historiques.

La crise économique qui frappe l’Argentine à partir des années 2000, et qui dure encore aujourd’hui après divers soubresauts, affecte sensiblement la scène du tango mais, malgré les difficultés financières, les milongas et les festivals servent de refuge culturel et continuent d’attirer un public fidèle.

Le tango contemporain s’inspire et influence en même temps d’autres formes d’art comme la peinture et la photographie, où il est souvent représenté comme un symbole de l’identité argentine. Des artistes comme Antonio Berni (1905-1981) et Carlos Páez Vilaró (1923-2014), par exemple, s’inspirent du tango pour créer des œuvres qui explorent ses thèmes de passion, de nostalgie et de connexion humaine. Des photographes tels Horacio Coppola, Guillermo Monteleone, Gustavo Di Mario et Adriana Groisman, entre autres, documentent les milongas, les spectacles, les danseurs et les musiciens de tango, créant une riche archive visuelle de cette culture.

En 2009, l’UNESCO inscrit le tango argentin au Patrimoine Culturel Immatériel de l’Humanité, reconnaissant ainsi son importance culturelle et historique. Cette officialisation renforce également la responsabilité de le préserver et de le promouvoir pour les générations futures.

La pandémie de COVID-19 impacte les milongas et les festivals de tango en 2020 et 2021, mais diverses initiatives permettent de maintenir sa communauté culturelle active, au moins sur les réseaux sociaux et les plateformes de streaming. Dès 2021 avec l’assouplissement des restrictions sanitaires, les évènements sociaux reprennent progressivement, mettant en lumière l’importance de la danse et de la musique comme moyens de résilience et de connexion humaine.

Aujourd’hui, plusieurs millions de personnes dansent régulièrement le tango argentin dans le monde et son industrie est l’une des principales ressources de Buenos Aires en termes de tourisme et de revenus culturels. Une Journée nationale du tango est célébrée chaque 11 décembre, date anniversaire de naissance de Carlos Gardel et Julio de Caro. Plus international et plus vivant que jamais, il continue de fasciner, d’émouvoir, et d’inspirer de nouvelles générations de danseurs, de musiciens, et d’artistes. Des milongas clandestines en plein air aux très chics salons de bal privés, du tango traditionnel à l’electrotango en passant par le Tango nuevo, il est toujours célébré quotidiennement dans le monde entier.

Noël Blandin

Auteur: Noël Blandin
Titre: Brève histoire du tango argentin
Éditeur: La République des Lettres
Date de publication: 01/10/2024
N° ISBN: 9782824912479
Pagination: 224 pages
Format: 13,5 x 18,5 cm
Prix du livre papier: 18 €
Prix du livre numérique: 6,99 €

Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, mardi 11 novembre 2025.
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Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, mardi 11 novembre 2025.