Sommaire

  • I. Les Origines (1870-1890)
    • 1. Le Río de la Plata - 2. Les racines sud-américaines - 3. Les racines africaines - 4. Les racines européennes - 5. La milonga
  • II. L’Essor (1890-1930)
    • 6. Les barrios - 7. Montevido - 8. L’expansion - 9. La Guardia vieja - 10. Les Années ’10 - 11. La Tangomania - 12. Les Années ’20

Jorge Luis Borges, El Tango, sur une musique d'Astor Piazzolla.

Jorge Luis Borges

Écrivain, Jorge Luis Borges est né le 24 août 1899 à Buenos Aires dans une famille cultivée d’origine anglo-espagnole. Son père est avocat et professeur de psychologie, sa mère issue d’une famille patricienne argentine. Enfant, il apprend à lire en anglais avant de maîtriser l’espagnol et se plonge rapidement dans les œuvres de Shakespeare, Cervantes et d’autres grands auteurs. En 1914, la famille Borges s’installe en Europe, d’abord en Suisse, où il termine ses études secondaires au Collège Calvin de Genève. Il y apprend l’allemand et le français. Il s’inscrit ensuite à l’Université de Genève où il obtient un diplôme en lettres. Pendant cette période, il découvre les avant-gardes littéraires européennes et est fortement influencé par des auteurs comme Franz Kafka et Marcel Schwob.

De retour en Argentine en 1921, il s’engage dans la vie littéraire de la capitale portègne. Il publie en 1923 son premier recueil de poèmes, Fervor de Buenos Aires et devient une figure centrale des cercles littéraires argentins. Il collabore à diverses revues et participe au mouvement avant-gardiste ultraïste. Son maître à penser de l’époque est l’écrivain Macedonio Fernández. Dans les années ’30, il commence à explorer la prose, publiant des nouvelles réunies dans des recueils tels que Histoire de l’éternité (1935) et Le Jardin des sentiers qui bifurquent (1941). Fictions (1944) et L’Aleph (1949) lui valent une reconnaissance internationale. Ces recueils de récits au style érudit et au langage précis, sont souvent teintés de fantastique et construits comme des énigmes ou des puzzles littéraires. Ils traitent de thèmes complexes comme l’infini, le temps, les bibliothèques, l’éternel retour, les miroirs ou les labyrinthes. Borges, dès lors considéré comme un précurseur du réalisme magique latino-américain, joue constamment avec la frontière entre fiction et réalité, explorant des idées philosophiques ou théologiques à travers des histoires paradoxales aux structures élaborées.

En 1955, il est nommé Directeur de la Bibliothèque Nationale de Buenos Aires, poste qu’il conservera jusqu’à ce qu’une cécité presque totale l’oblige à abandonner ses fonctions. Cette cécité n’empêche cependant pas l’écrivain de voyager et de donner des cours de littérature, tant dans son pays qu’en Europe et aux Etats-Unis. En 1967, il épouse l’écrivaine Elsa Astete Millán mais cette union ne durera que trois ans.

Jorge Luis Borges incorpore souvent le tango dans ses récits. Il le décrit comme une expression poétique de l’Argentine, capturant la dualité de la vie urbaine de Buenos Aires, à la fois élégante et brutale. En réalité, même s’il vit en pleine époque tango à Buenos Aires, Borges est trop littéraire et cosmopolite pour s’intéresser aux formes musicales simples du genre. Le tango est pour lui un thème qui participe d’un univers personnel beaucoup plus large ayant pour centre la ville de Buenos Aires. A l’instar de Kafka pour Prague, Pessoa pour Lisbonne ou Joyce pour Dublin, il est en effet « l’auteur » de Buenos Aires. Il est le fondateur d’une cité mythique et intemporelle qui s’appelle Buenos Aires. Des hommes y surgissent de l’éternité d’une bibliothèque inclassable pour y danser le tango et s’y livrer à des duels au couteau, aveugles dans le labyrinthe, ne sachant s’ils vivent, s’ils meurent, s’ils rêvent ou s’ils sont rêvés.

Son principal texte sur le tango est un chapitre intitulé Histoire du tango (1955), rajouté dans une réédition française de Evaristo Carriego (édition originale à Buenos Aires en 1930, édition revue et complétée en français en 1984). Situant son action à Palermo – le quartier ou il passa son enfance – Borges veut à l’origine faire de ce livre une biographie du poète Evaristo Carriego, mort tuberculeux en 1912 à l’âge de 29 ans, auteur d’un seul petit recueil de poèmes et quasi oublié aujourd’hui. Borges s’intéresse à cet auteur parce que c’est son voisin et surtout parce qu’il écrit sur Palermo et la misère de Buenos Aires. Une autre raison plus intellectuelle est sans doute aussi de provoquer ses pairs en affirmant ainsi s’extraire de la vogue moderniste du moment – que Borges connait bien par ses travaux au sein des avant-gardes – avec un ouvrage consacré volontairement à un auteur mineur, dépassé et inconnu. Mais le véritable objet du livre qui se révèle au fil de l’écriture puis des rééditions, est la création en spirale à travers la personne d’Evaristo Carriego d’une figure purement borgésienne, d’une sorte de masque qui lui permet de mêler fiction et réalité historique et de passer au prisme de sa poésie la vie des bas quartiers de Buenos Aires, celle du monde du tango, des voyous et des rixes, des maisons de passe et des filles tuberculeuses. D’un auteur à l’autre, d’un texte à l’autre, le même, le quartier de Palermo se métamorphose en labyrinthe, le crime du petit caïd en violence de tigre, le gaucho en cavalier fantastique, le poète en miroir d’éternité et la cité de Buenos Aires en livre infini.

Son essai Le Tango : Quatre conférences (1965) offre lui une perspective littéraire sur les origines et l’évolution du tango. Dans El Aleph, il explore les thèmes de l’infini et de la mémoire, utilisant le tango comme une toile de fond pour certaines de ses réflexions. Le tango, avec ses rythmes hypnotiques et ses mélodies envoûtantes, y est présenté comme une métaphore de l’éternité et de la complexité de l’existence humaine. Mais plus que le tango, Borges aime avant tout la milonga de son pays. Parmi ses écrits et entretiens où il s’exprime sur le sujet, il fait toujours la distinction entre le caractère authentiquement populaire, gai et impétueux de la milonga et le tango plus tardif qui lui parait plus artificiel et sentimental. Hormis quelques exceptions, comme El Choclo et quelques autres vieux tango-milongas, il apprécie peu les textes du tango canción réécrits en lunfardo, c’est-à-dire dans un langage trafiqué par des auteurs dépendants du vérisme sentimental de l’époque, alors que l’ancienne milonga présente elle une forme plus simple et directe qui lui plait car elle est écrite selon lui « dans le langage commun des hommes ». Les instruments mêmes qui accompagnent le tango, bandonéon, piano et violon, viennent des bordels alors que la milonga est accompagnée d’une bien plus solaire et universelle guitare à six cordes, l’instrument traditionnel des gauchos et habitants de la pampa d’origine. En hommage à cette tradition musicale populaire argentine, il écrit d’ailleurs lui-même quelques milongas dans le recueil Para Las Seis Cuerdas (1965), traduit en français dans La Mesure de mon espoir (1976). Elles sont adaptées dans le film Invasion (1969) de Hugo Santiago (coécrit par Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares) puis interprétées par plusieurs chanteuses de renom comme Haydée Alba ou Susana Rinaldi, essentiellement sur des musiques de Piazzolla.

Le 26 avril 1986, Jorge Luis Borges épouse sa secrétaire et collaboratrice María Kodama. Il décède à Genève deux mois plus tard, le 14 juin 1986.

Noël Blandin

Auteur: Noël Blandin
Titre: Brève histoire du tango argentin
Éditeur: La République des Lettres
Date de publication: 01/10/2024
N° ISBN: 9782824912479
Pagination: 224 pages
Format: 13,5 x 18,5 cm
Prix du livre papier: 18 €
Prix du livre numérique: 6,99 €

Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, jeudi 14 novembre 2024.

         

Brève histoire du tango argentin est publié par les Éditions de la République des Lettres. Reproduction interdite, tous droits réservés pour tous pays. Copyright © Noël Blandin, Paris, jeudi 14 novembre 2024.